vendredi 23 juillet 2010

Flashs

Flash marocain 1976 : Sables


                                      
                                            Variabilité du sol

La terre ocre de l’Atlas, dont la couleur change du brun pâle au roux flamboyant avec l’écoulement des heures et les variations de la lumière, envahit tout l’espace pendant des jours. Seule compte cette terre ingrate et majestueuse, cacao brut, qui se dérobe sous les pas.

Des enfants dépités, le long des routes, lancent des cailloux arrachés au sol stérile, sur les véhicules de passage qui repartent toujours ou qui ne s’arrêtent jamais.

Au sud extrême, dans une chambre vert eau sans fenêtre d’une belle rusticité, les chairs fatiguées se reposent sous les pales du ventilateur qui tombe en grappe du plafond.

Dehors, une ville chaude attend, peuplée de citoyens complaisants, de femmes enveloppantes, de marchands affables, de repas à deux sous, de fleurs d’oranger flottant sur des thés à la menthe servis à toute heure. Pauvre et belle comme dans un conte oriental, elle fait alterner misère et opulence, modestie et vanité, prosaïsme et enchantement, insouciance et sérieux, réalisme et illusion, tradition et modernité.

A perte de vue, s’étendent des kilomètres de tôle ondulée chaude et vibrante pour l’épreuve du feu. Sang froid et maîtrise. Eviter la lenteur et la panique. Contourner l’enlisement. Corps à corps avec le désert.

Les os broyés, l’échine endolorie, les yeux irrités et les lèvres sèches, chacun reçoit avec gratitude la tiédeur du soir en partageant les pains ronds sortis du four d’un pauvre village où l’eau rare désaltère.

Après les chants de sable et les murmures étoilés, la nuit froide s’installe au fond du désert.

Le jour se lèvera. Il faut partir.


Flash aquitain 1974 : Horizons

                              
                                            Résine

Cet été-là, tous les amis d’amis d’ami désargentés mais friands de dépaysement, profitaient d’une grande bâtisse landaise à toit bas presque plat qui s’étendait sur toute la longueur de la maison.

Pas d’étage, sinon un grenier à foin, à céréales et à maïs désaffecté qui ne tentait personne – même les plus misanthropes – dans la chaleur de fournaise des forêts de pins. Seules les chambres aux dalles de terre cuite inégales, aux odeurs de salpêtre et d’ombre, retenue prisonnière par les volets cabanés* sous l’auvent de glycine et de vigne aux grappes encore acides, avaient du succès.
Aucun luxe. Un confort sommaire. Mais la certitude de ne voir personne pendant des jours sinon le marchand de miches s’enfonçant profondément chaque jour dans les rideaux d’arbres pour approvisionner quelques maisons isolées, quelques métairies et quelques cabanes de résiniers. Et parfois le facteur que l’on voyait arriver de loin pédalant à perdre haleine sur les parties dures du chemin pour éviter de s’enliser dans le sable meuble qui jalonnait toujours la voie. Quant à l’épicerie ambulante, elle ne passait qu’une fois par semaine et transportait – si elle le pouvait – toutes les commandes. Rien d’extravagant. De l’essentiel avec parfois un petit plus pour l’imprévu. D’aussi loin qu’il voyait la maison, l’épicier lançait sa corne pour souligner le grand intérêt qu’il ne manquerait pas de susciter. Tous l’attendaient alors sur le bord du chemin, et y allaient de leurs demandes, dès qu’il s’arrêtait.
Dans les chambres gorgées d’ombre donc, un broc à eau dans une cuvette de faïence ou de rustique porcelaine pour les ablutions quotidiennes. Des lits hauts pour assurer la circulation de l’air et des souris qui musardaient du sol au grenier dès qu’elles étaient seules. Des matelas rembourrés de feuilles de maïs qui crissaient au moindre mouvement et exhalaient une odeur d’herbe sèche. Dans la pièce à vivre, un entassement de bûches moussues prenant appui sur le manteau de la cheminée pour les soirées fraîches de fin de saison. A l’extérieur, un banc de bois précaire, adossé à la maison et près du chemin de terre un puits réfrigérant aux multiples fonctions.
Chacun revenait à des choses simples, la plupart du temps oubliées ou bâclées. A la fraîche, très tôt le matin, profiter de la brume basse d’été et de l’herbe humide. Prendre lentement le petit déjeuner en observant les allées et venues des chats occupés sans en avoir l’air – stratégie oblige – à débusquer quelque petit lapin maladroit ou à lutiner quelques mulots imprudents, tandis que le chien, pressentant la chaleur à venir, s’allongeait en soufflant sur le dallage encore frais du seuil. Choisir ensuite avec attention les produits qui serviraient à préparer le repas avec soin. Prévoir une vraie sieste, qui durerait longtemps, au fond des lits ou à l’ombre des grands feuillus qui bordaient la maison avant l’orée de la pinède secrète. Se réserver un bel ensemble de lectures et un stock de carnets pour les fringales d’écriture ou de notes à la volée. Fixer doucement des bouts de vie, des bouts de rien, des bouts de tout, sur la pellicule. Aller au lac, après les heures chaudes, nager jusqu’à l’îlot désert et se sentir paisible dans la lueur du couchant. Et le soir venu, après le dîner, sentir et goûter le lait fraîchement sorti de la mamelle dans la ferme proche, puis ramener un plein bidon pour la maisonnée vacancière. Chacun était revenu à des choses simples, et prenait le temps.
Ainsi se déroulèrent les vacances cet été-là, dans une demi quiétude avec l’horizon borné par la forêt et la ligne de fuite du chemin qui ne semblait mener nulle part. Une longue bande poudreuse qui se perdait entre les arbres et bifurquait brusquement vers la route lointaine et le village assoupi qu’on ne voyait pas.

Lexique:
Volets cabanés* : volets clos à demi protégeant de l’ardeur du soleil. Volets entrouverts.


Flash méridional 1973 : Odeurs


                                 
                                            Couleurs odorantes

Tout part de l’odeur sucrée et fade du melon. Elle éclate. Elle envahit l’air chaud et court au ras du sol dans les champs chargés de fruits. Elle glisse sur la peau moite et dorée qui toujours légèrement humide jamais ne sèche vraiment. Sauf le soir. Le sud commence avec les odeurs.

Ces jours-là sont chargés d’allées et venues désordonnées, de kilomètres de routes traversières, d’arrêts et de départs inopinés, de flamboyantes illuminations, d’imprévisibles impatiences. Le sang bout. Le corps s’agite. La tête n’en fait qu’à sa tête et poursuit les chimères les plus invraisemblables : les amants d’Avignon mille fois mythifiés et immortalisés, les débauches de couleurs recherchées par Matisse, l’insoutenable acuité visuelle de Van Gogh, la sauvagerie âpre et désolée des paysages des Baux, l’intimité des calanques vierges, les artifices des festivals et les surprises des carnavals.

Que va-t-on chercher si bas ? Juste un climat, juste quelques rêves d’arrière pays encore accrochés à quelques coins de cervelle. Se promener dans les jolis villages dans lesquels, sous l’œil exercé et féroce des commères, on n’aimerait pas vivre, mais que l’on recherche pour leur tranquillité estivale, bien que relative. Apprendre à ne rien faire. Être en harmonie avec les fontaines claires sur les places ombragées, se sentir dans la simplicité, de celle qui remonte parfois de très loin aux moments de grand calme, quand l’esprit apaisé s’ouvre sans leurre, mais avec la conscience critique de frôler l’imbécillité béate et la naïveté dangereuse.
Voilà, c’était cela le sud cette année-là.

Flash espagnol 1972 : Terreur


                        
                             La pensée bouleversée

Précipitation. Quitter. On ne sait quoi. Mais partir. Trois rechanges, deux gamelles, une canadienne, une guimbarde qui grince, une bourse extra plate. C’est le départ.

Premières journées. Airs de conspirateurs. Ici c’est l’Espagne. Parano incognito. Gardes civils le long des routes. C’est eux. Meurtre de Federico Garcia Lorca. Etc.… Etc… Etc… Le fascisme ne passera pas .

Ce matin-là, à Saragosse, des gens de toutes parts se rassemblent. Robes de fête, mantilles, volants et habits noirs s’égayent dans les rues. Curiosité. Pourquoi ? Une fête sans doute. Laquelle ? A l’horizon la foule immense déferle, subitement. Dense, imposante, fébrile. Empanachée, endimanchée. Glaçante. Le sang ralentit dans les veines. Les yeux hypnotisés ne quittent plus le cortège qui pesamment avance autour des chars pavoisés. Mais ce n’est pas un carnaval – quoique ? –.

Les pénitents hautement encagoulés, armés de croix et de détermination farouche, tel un mur infranchissable, marquent le pas et psalmodient sombrement. Malaise. Quel est ce jour ? La Semana Santa. Qui y aurait pensé, sinon ces foules fanatisées et ardentes qui rappellent ô combien les inquisiteurs, la folie et les bûchers.

Sensation nauséeuse. Vertige. Angoisse. Départ prématuré.

Photos de mhaleph

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